Ce Thread Est Comme Das Kapital: Ennuyant, Important Et Personne Ne L’A Vraiment Lu Jusqu’Au Bout

Ce thread est comme Das Kapital: ennuyant, important et personne ne l’a vraiment lu jusqu’au bout. Pourtant il tente de répondre à une question simple qui est sur toutes les langues: wach l3am zine?

Le 23 février a eu lieu le grand chassé croisé des barrages.
2 courbes se sont croisées.
Le taux de remplissage des barrages (TRDB) du 23/02/2023 était de 32,9%, le même que celui du 23/02/2022.

L’année dernière, il n’a pas beaucoup plus. La récolte céréalière était de 34 millions de quintaux soit le tiers de la récolte antérieure: l3am ma kanch zine:(
Cette année, on a l’impression qu’il a quand même beaucoup plu et neigé et on a bon espoir que la récolte sera bonne.

Optimiste, le gouvernement, table sur une production de 75 millions de quintaux.

Un TRDB de 32,9% à la même date, pour une bonne ET pour une mauvaise année. Comment ça se fait que le même chiffre reflète deux réalités différentes?

Déjà, pourquoi surveiller le remplissage des barrages? Le Maroc a un climat relativement sec, et l’eau y est une ressource précieuse. Un taux de remplissage élevé signifie deux choses :
1 – Il a suffisamment plu cette année
2 – Nous avons des réserves pour l’année prochaine

En même temps, voir un barrage vide a un impact psychologique: l’année sera dure pour tout le monde, avec potentiellement des coupures d’eau en villes, et des populations qui souffrent dans les villages.

En chiffres : le Maroc consomme ~ 10,4 Milliards de m3 d’eau (hors prod. élec) par an, toutes ressources confondues. L’agriculture est le principal consommateur d’eau, suivie des usages domestiques et industriels.
Les barrages nous permettent de répondre en partie à ces besoins.

Le Maroc possède une capacité de stockage de ~16.1 Mrds m3, répartie sur une soixantaine de barrages.

Ces barrages peuvent être regroupés en une vingtaine d’ensembles cohérents: les bassins hydrauliques.

Ici par exemple, le bassin hydraulique du Sebou (Al Wahda, Idris 1, etc.)

Les 8 dernières années, la moyenne de remplissage des bassins était de 7,8 Mrds m3 – le Sebou et l’Oum Er Rabii représentent 67% des volumes stockés.

Du coup, être aujourd’hui à 34% de remplissage signifie qu’on a en réserve ~ 5 Milliards de m3 d’eau potentiellement exploitable, soit 50% de nos besoins annuels en eau (hors prod. électricité).

Certes, le remplissage augmente depuis le début d’année, d’autant qu’on part d’un niveau hérité de 2022 à 31.5%, le plus faible niveau depuis que nous avons des données.

Alors, 3am zine ? not so fast.
C’est positif pour cet indicateur, le taux de remplissage, mais pas forcément pour la saison agricole ni pour le moral national. Seul, le TRDB ne permet pas de conclure, car il cache certaines subtilités. En le suivant, on commet certaines erreurs.

Erreur 1: le TRDB est un indicateur de stock, pas de flux.
Un TRDB élevé signifie : il a beaucoup plu, nous avons consommé peu d’eau, le stock de l’année d’avant était élevé, ou une combinaison des trois.

Un seul chiffre, des réalités différentes. Surtout pour un agriculteur.

Erreur 2: le biais calendaire.
Comme les écoliers, les agriculteurs ne démarrent pas l’année en janvier.
Chez nous, la saison agricole vers septembre, les mois critiques pour l’apport en eau des céréales sont entre octobre et février. Donc il faut décaler nos graphes de 4 mois.

Or, cette année, nous avons démarré la saison agricole à un niveau particulièrement bas: avec 4,1 Mrds m3 en réserve soit un TRDB de 26%, après une année 2021-2022 difficile. Nous partons de loin.

Si nous regardons le flux, les barrages cette année se remplissent particulièrement vite. Plus vite que l’année dernière, et plus vite que presque toutes les autres années.
En revanche, l’année 21-22 a été celle où les barrages se sont vidés le plus vite.

Ewa ngoulou l3am zine?
Pas encore. “Il y a beaucoup d’incertitudes, comme depuis le début” pour reprendre les mots de Regragui, la veille des 8èmes contre l’Espagne.

Erreur 3: 12 régions, un taux.

Le TRDB cache les disparités entre les régions. Il reflète surtout le taux de remplissage du grand barrage d’Al Wahda et des autres barrages du Sebou qui représentent 67% des réserves nationales.

A chaque bassin versant son rythme:

Le Loukous a deux fois plus d’eau que l’Oum Errabie. Pourtant, il possède la moitié de sa capacité de stockage. (1 Loukous = 2 OumErrabie)

Il est donc possible d’irriguer à volonté à Larache et de rationner l’eau potable à Lbrouj.

Un producteur de fourrage à Khenifra serait moins rassuré qu’un cultivateur de fraises à Larache. D’ailleurs, le TRDB n’est pas un bon prédicteur de la production agricole.

Le rendement agricole est peu voire pas corrélé au remplissage des barrages.

Ni pour les céréales, la culture la plus importante en volume et qui dépend essentiellement de la pluie (cultivées en bour)

… ni pour la tomate, une des cultures les plus importantes en valeur, pourtant essentiellement irriguée

Conclusion : le TRDB ne nous dit pas si l’année sera bonne ou pas.
Si le taux de remplissage des barrages n’est pas un indicateur pertinent, faut-il pour autant lâcher les eaux?

Pas toutes. Tout simplement parce qu’une bonne année est une année où la récolte est bonne notamment parce qu’il a assez plu.

Le TRDB ne mesure pas directement la pluviométrie.
Alors que, surprise, la pluviométrie permet de mesurer la pluviométrie! 🤷

Fine wednik ya je7a?

Sauf que Maroc Météo ne publie pas les données de météo. Il nous les faut pourtant.

Revenons donc à notre question, et validons d’abord que la pluviométrie permet effectivement de statuer sur la zinitude de l3am.

La pluviométrie est globalement un bon prédicteur de la saison agricole au Maroc. En plus d’avoir un historique de plus de 30 ans ce qui permet de comprendre les cycles climatiques

Mais là encore, une pluviométrie nationale n’aurait pas beaucoup de sens. Il faut regarder les données localement.

Ici par exemple, on constate qu’il fait un sale temps pour les Fassis (pour une fois).

Par contre les Tangerois ont l’air d’avoir une pluviométrie record. Hélas, c’est une exception.

Alors, l3am zine ?
Globalement, je viens avec une mauvaise nouvelle, il n’a pas suffisamment plu cette année.

En fonction des cultures, il reste encore un peu d’espoir avec des pluies tardives, qui ne rempliront pas assez les barrages

Gardons espoir.

Je ne peux pas conclure sans m’arrêter sur les donnés.
Ce thread m’a pris un certain temps. Il a fallu trouver les données, les nettoyer, et essayer d’évaluer leur crédibilité “à main levée”.

Pour moi, c’était frustrant. Pour un agriculteur, c’est problématique.

Ce n’est pas normal. Les données météo sont des biens de première nécessité. L’agriculture, qui emploie deux millions de nos compatriotes, en a besoin.

Les agriculteurs se posent les mêmes questions que le reste des Marocains, mais avec plus d’enjeux que le reste d’entre nous.

80% de nos agriculteurs sont en bour. L’indicateur du taux de remplissage des barrages est un indicateur trop indirect, trop macro, trop compliqué à interpréter.

Et, pour terminer sur une note joyeuse, je vous laisse avec la BO de ce thread